L’année 1944 restera une année historique pour l’histoire de Neuvy
Récit écrit par l’Abbé Châtillon Curé de Neuvy
1944 Année Terrible – Année des bombardements.
La fin de la guerre approchait. Les Allemands circulaient en désordre en direction du nord-est. Déjà nous nous réjouissions de l’imminente libération de la Patrie, en nous félicitant d’avoir traversé sans trop de dommages la guerre et la longue épreuve d’une occupation de quatre ans, quand la catastrophe arriva. Par trois fois, le 17 Juillet, le 2 Août et le 7 Août les bombes déversées sur le village, le détruisant en grosse partie et causant 130 morts…
Le lundi 17 juillet 1944, à 11 heures du matin, des « forteresses volantes » américaines passant dans le ciel de Neuvy, larguèrent soudain leurs bombes (d’une hauteur de 5-6000m). Ce fut notre premier bombardement. L’événement était tellement inattendu que beaucoup de malheureux furent tués alors que, les yeux au ciel, ils admiraient les avions. Le déluge dura 3 ou 4 minutes. Environ 150 bombes d’une tonne en moyenne s’abattirent sur le pays, dessinant au sol une sorte de « T » gigantesque, dont la barre transversale représenterait une ligne partant de l’usine Fougerat et passant par le boulevard de la Mairie, le Pont de chemin de fer et la rue du Port, jusqu’à la Loire. Quant à la barre verticale, elle représenterait une ligne partant des environs de la gare et rejoignant le boulevard de la Mairie en passant entre la ligne du chemin de fer et la rue principale du bourg.
Vers midi, alors que les survivants, revenus de leur stupeur, commençaient à organiser le sauvetage, des avions de chasse apparurent, qui prirent à partie deux trains allemands stationnant en gare. Pendant trois-quarts d’heure, ce fut un infernal carrousel, au terme duquel les deux trains mitraillés et incendiés étaient complètement détruits. Du moins ce mitraillage fut-il du travail bien fait, et le pays n’eut pas à en souffrir. Mais le bombardement proprement dit fit plus de 40 morts et une soixantaine de blessés, sans compter les ruines.
Nous n’étions pas au bout de nos peines. Déjà la Paroisse s’était mise à panser les plaies. Quelques familles étaient parties, mais la grande majorité des habitants était restée, persuadée que le bombardement était une erreur des aviateurs alliés.
Le 2 août 1944, vers 5 heures de l’après-midi, les oiseaux de malheur revinrent. Cette fois tout le bourg fut arrosé, d’environ « 300 bombes » aussi grosses que les premières. Il y en avait partout, jusqu’à la Couarde et Gardefort, dans la Loire et 17 autour de cimetière. Après le départ des sinistres oiseaux, l’aspect de la pauvre paroisse était épouvantable. On retira des ruines plus de 80 morts et environ 120 blessés.
Le vendredi 4, nous eûmes le réconfort de recevoir la visite de Monseigneur l’Evêque de Nevers, venu avec Monsieur le Préfet, bien que Nevers ait été également bombardé le 16 juillet. On n’eut même pas le temps de déblayer tous les morts car les autorités civiles, d’une part, redoutant un troisième bombardement, d’autre part, considérant qu’il n’y avait plus ni commerçants ni jardins, et par conséquent rien à manger, ordonnèrent l’évacuation du pays. Aussitôt, les voitures des paysans des environs, camionnettes et camions chargèrent les meubles et le samedi 5 août Neuvy était vidé. C’était un pays mort.
Deux quartiers sont complètement rasés. Les deux autres ont beaucoup souffert. Le château, avec sa belle porte du XV eme siècle est détruit. Seul témoin des siècles anciens, l’église reste debout avec ses pierres tombales, sa nef modeste mais élégante du XllI eme sa jolie chapelle ST Hubert du XVI eme et ses deux belles cloches du XVIIeme Ses vitraux n’existent plus… Mais la vieille église tient, symbole de la pérennité de la France et de son indestructible volonté de vivre. »
Monsieur le Curé resta jusqu’au dimanche 6 avec l’équipe de déblaiement venue de Cosne pour ensevelir et enterrer les morts. Le dimanche soir, il rejoignit le gros de ses paroissiens réfugiés à Annay. L’exode à Annay se prolongea jusqu’au début d’octobre. Puis, les habitants rentrèrent peu à peu. Entre temps, la Libération s’était accomplie.
Et le lundi 7 Août, à 14 heures, Neuvy subissait son troisième bombardement. Cette fois, le bourg était à peu près vide. Il n’y eut que 4 hommes qui déblayaient qui furent tués. Mais on n’insista plus. L’équipe de déblaiement fut elle-même retirée, remplacée par quelques gendarmes qui étaient là pour empêcher le pillage.
Le bilan des bombardements se soldait par 130 morts, plus de 70 immeubles détruits complètement et 97% des maisons plus ou moins sinistrées. Chose remarquable, tous les édifices religieux restaient debout. L’’Eglise n’avait que des trous dans la toiture et tous les vitraux détruits. Le Presbytère n’était sinistré qu’à 30% – La Croix de Pâques était intacte. La statue de St Eloi n’avait aucun mal, bien que sa niche fût creusée dans un mur qui restait seul debout. Et surtout la Vierge du Port, au milieu d’un paysage d’enfer, continuait à sourire et à tendre ses mains bénissantes. Un ouvrier qui la contemplait disait un jour à ses camarades : « Les curés vont encore dire que c’est un miracle ! » Puis après quelques secondes de réflexion, il ajouta:« Il faut bien avouer que ce n’est pas naturel… »
On saura peut-être plus tard les raisons qui ont motivé trois aussi terribles bombardements sur une aussi modeste commune.
1° Pour moi, je crois que l’objectif n° 1 était la ligne de chemin de fer. Je me base sur le fait que dans la traversée de Neuvy, la ligne forme un remblai important, coupé de ponts sur une distance de 400 mètres.
2° Sur cet autre fait que les bombes employées furent des bombes de gros calibre – amorcées avec un léger retard de façon à exploser à 7 ou 8 mètres de profondeur – et destinées par conséquent à creuser de gros trous. Cette particularité sauva d’ailleurs ce qui reste du pays, car le terrible souffle destructeur de l’explosion ne s’exerça plus horizontalement, mais verticalement.
J’ai déjà parlé des dégâts causés aux édifices paroissiaux. Il faut ajouter qu’une grosse bombe étant tombée dans le jardin de ce qu’on appelle ici: « La Maison des Soeurs », toute la propriété a aussi souffert. La salle paroissiale en particulier fut sinistrée à 70%.
1945 – Neuvy se repeuple petit à petit. On fait les réparations urgentes, en particulier les toitures. On se heurte à beaucoup de difficultés. Surtout au manque de matériaux et de crédits…Six personnes viennent tous les soirs, coucher au presbytère. Grâce à une somme de 100.000 francs, accordée par Monseigneur l’Evêque, la Cure est relativement vite remise en état, et les réparations du Domaine paroissial amorcées. Les prix d’ailleurs, montent en flèche et bientôt tout est dix fois plus cher qu’en 1939.
1946 – La population est maintenant d’environ 900 habitants. Que de vide partout. La mentalité laisse bien à désirer. Les luttes politiques ont repris, plus virulentes que jamais. Les habitants sont aigris, jaloux, amers et ils se sont presque tous endettés pour commencer leurs travaux de réparations.
Les offices de l’Eglise et les assistances sont loin d’être ce qu’ils étaient il y a seulement trois ans. En décembre 1946, renonçant à faire les 7 ou 800.000 francs de réparations nécessaires dans la maison des Sœurs*, elle fut vendue en partie. Il reste une salle de catéchisme, la Salle Paroissiale complètement restaurée, la cour et le jardin.
Ecrit par l’Abbé Châtillon en 1944 puis complété en 1946.
*Maison face du Monument aux Morts, rue Jean Jaurès